Travaillant dans une entreprise d’une bonne taille, nous avions tissé des liens avec les écoles locales sur nos différents domaines d’activité. Nous étions, de ce fait un gros pourvoyeur de stagiaires et le mois de septembre voyait arriver plusieurs dizaines de ces jeunes collaborateurs.
Conscient de l’importance du onboarding, notre direction organisait des sessions d’accueil et de visites de l’entreprise. Chaque parrain était au fait de son rôle. Plusieurs semaines plus tard, je déjeune dans une cuisine collective : grande et aménagée de manière tout à fait consciente pour favoriser les échanges. A côté de moi, sur une grande table, une dizaine de stagiaires intégrés dans des services et bâtiments différents s’était retrouvée.
Stagiaires en marketing, ressources humaines, développeur informatique, technicien réseau échangeaient sur ce qui était devenu leur entreprise, leurs examens à venir et le nombre de page que ferait leur rapport de stage. Conjuguant l’utile à l’agréable, ils organisaient aussi leur soirée.
Autant le dire tout de suite, nous avons ici un exemple caractéristique d’une communauté. Nous avons déjà catégorisé les communautés, et elles peuvent porter plusieurs objectifs. Notre communauté de stagiaire était aussi bien une communauté d’intérêt, que de pratique et d’actions. Elle avait surtout la particularité d’être spontanée. Aucune directive n’avait été donnée pour la création de cette communauté. L’entreprise avait posé les conditions adéquates à son émergence mais clairement sans l’anticiper.
Ces étudiants ne se connaissaient pas et il est peu probable qu’ils aient développé des relations en dehors de l’entreprise. Pour autant, ils ont réussi en quelques semaines ce que notre direction ne parvenait pas à instaurer malgré l’énergie déployée. Ils ont spontanément et simplement décloisonner l’entreprise et les services. En exploitant un environnement adéquate (la cuisine) pour échanger, ils ont développé des fonctionnements pour être plus efficaces. Toutefois, cette communauté est éphémère et nous n’avons pas tiré parti de cette expérience.
C’est bien toute la problématique pour l’entreprise : comment capitaliser sur ces communautés qui souvent ne sont même pas identifiées ? En parallèle de l’organisation et parfois concurrente, c’est surtout un chantier porteur d’un potentiel de valeur important.
Parler d’expérience collaborateur, c’est l’assurance de pouvoir rédiger pour être dans
l’air du temps et dans lequel on trouvera à peu près tout ce qu’on veut.
Les communautés sont un terreau fertile pour le développement et le partage des connaissances mais aussi pour l’innovation. C’est un modèle efficace offrant la liberté nécessaire au partage, aux erreurs, aux tests, libéré des processus internes parfois lourds.
Et c’est là tout l’enjeu. Benoit Sarazin évoque “un mariage improbable entre deux cultures radicalement opposées” ; d’un côté l’entreprise définie par ses processus, ses règles, ses chaînes de décision et de l’autre un regroupement libre d’individus poussant des idées.
De son côté, Jean-Pierre Bouchez, dans L’Économie du savoir parle de l’apparition d’un forme hybride d’organisation dans laquelle les communautés (de pratique, d’innovation) sont fondues dans l’entreprise
Les communautés sont une source de transformation profonde et c’est une réflexion globale qu’il faut poser. Nous l’avons vu précédemment, mon entreprise avait posé les premiers éléments permettant de favoriser l’apparition de communauté. Elle n’avait pas contre pas anticipé la manière dont nous aurions pu bénéficier de sa production.
Piloter cette organisation atypique est l’art de gérer dans la nuance ! Même si la création de la communauté est spontanée, il devient nécessaire de piloter de manière subtile sa coopération avec le reste de l’organisation plus classique. Le management, la gestion des ressource humaines sont impactés fortement par ces changements.
En premier lieu, un collaborateur engagé dans une communauté a besoin de l’appui de son responsable qui ne doit pas voir cela comme une forme de hobby sur le temps de travail : Accepter de donner de laisser du temps tout en évitant d’en attendre des résultats immédiats. La manager a l’opportunité de mettre ses propres qualités à disposition des communautés : le monde des idées aura besoin de prendre pieds dans le monde des affaires ce qui n’est pas simple. Il pourra ainsi identifier les meilleures idées, soutenir leurs développements et leurs concrétisations. Ainsi, Schneider, qui met en avant une organisation avec 110 communautés de pratique, a intégré dans la fiche de poste du manager, la compétence d’animation de communautés.
Les DRH doivent intégrer cette forme d’organisation dans l’ensemble des processus existants. Si la communauté favorise le partage de connaissance, la politique de développement des compétences est de fait impactée. De même, la manière d’appréhender les actions de formation continue sont à revoir. Une participation active dans une communauté permet un apprentissage certainement plus efficace que d’autres modalités de formation plus classiques et plus coûteuses. Enfin, c’est le projet d’entreprise qui doit être en cohérence avec cette entreprise-communauté : Les communautés émergeront et se réalimenteront dans un climat confiance et de liberté, une culture de l’innovation.